Bail commercial : défaut d'accord sur le montant du loyer renouvelé

20 février 2014

L'article R. 145-23 du Code de commerce stipule que : « toutes les contestations relatives à la fixation du prix du bail (révisé ou) renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le juge des loyers commerciaux ».

C'est une juridiction d'exception, juridiction spécialisée, prévue exclusivement dans le cadre du statut des baux commerciaux, et constituée par le président du tribunal judiciaire (ou le juge qui le remplace) et dont la compétence d'attribution est limitée exclusivement aux contestations relatives « à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé». En d'autres termes, le juge des loyers commer­ciaux ne peut statuer sur des moyens de défense ou des demandes incidentes qui lui échapperaient de par sa compétence.

Dans tous les cas, il doit surseoir à statuer en attendant que la question soit tranchée par le tribunal de grande instance.

La compétence territoriale du juge des loyers commerciaux est déterminée par le lieu de situation de l'immeuble où se situe le local loué (article R 145-23 du Code de commerce). Le texte du décret du 30/09/1953 stipule qu'il est statué sur mémoire.

La procédure

Le décret du 3 janvier 1966 a institué devant le juge des loyers commerciaux une procédure spéciale d'ordre public, inspirée de la procédure administrative et comportant la notification de mémoires écrits.

Concrètement, une fois le congé avec offre de renouvellement signifié au locataire, et à défaut d'accord ou de silence de celui-ci sur le prix proposé, la procédure sera engagée par la partie qui y aura intérêt, et donc le plus souvent par le bailleur qui souhaite voir fixer un nouveau loyer.

L'article R. 145-29 du Code de commerce stipule que la représentation par avocat n'est pas obligatoire et chaque partie a la faculté de se défendre seule.

Néanmoins, elle est vivement conseillée du fait de la spécificité de cette procédure.

C'est une procédure plutôt longue, qui peut durer en moyenne entre 12 mois et 18 mois s'il y a une expertise judiciaire.

Elle comporte plusieurs étapes:

- 1ère étape :

La procédure sera engagée par la rédaction d'un mémoire préalable notifié par courrier recommandé avec accusé de réception, directement et personnellement à la partie adverse (et non à son conseil).

À défaut de respecter cette formalité, le mémoire est irrecevable.

Ce mémoire est un préalable indispensable à la saisine du juge et tant qu'il n'a pas été notifié, l'assignation est irrecevable.

L'article R. 145-27 du Code de commerce indique que le juge ne peut être saisi avant l'expiration d'un délai d'un mois suivant la notification du mémoire par le locataire. Ainsi, pendant le délai d'un mois à compter de la notification du mémoire préalable par courrier recommandé, le demandeur ne peut pas saisir le juge.

Une assignation prématurée qui ne respecte pas le délai d'un mois est irrecevable pour défaut du droit d'agir.

Ce délai a été instauré pour favoriser les tentatives d'accord amiable.

Il n'existe pas de formalisme particulier pour la rédaction de ce mémoire qui peut donc être rédigé sur papier libre.

En revanche, les articles R. 145-24 et R. 145- 25 du Code de commerce imposent que le mémoire doit préciser, sous peine de nullité:

- l'état civil complet des personnes physiques, la dénomination complète des personnes morales et l'adresse de leur siège social,

- l'adresse de l'immeuble donné à bail, l'objet de la demande précise en fixation du prix du loyer renouvelé,

. les autres prétentions éventuelles,

- les explications de fait et de droit de nature à justifier les prétentions.

L'article R. 145-26 stipule que le mémoire doit être signé des parties ou de leurs repré­sentants.

Remarque : Dans l'hypothèse d'un déplafon­nement de loyer, il est conseillé au bailleur de faire établir, à ses frais, par un expert immobilier, un rapport d'expertise préalable qui lui permettra de justifier par la suite, et en tous les cas devant le juge, les motifs du déplafonnement s'ils sont contestés. Il conviendra de joindre à ce mémoire la copie des pièces justificatives en totalité, qui devront également et à nouveau être déposées au greffe en même temps que le mémoire en cas de poursuite de la procédure devant le juge (article R. 145-27 Code de commerce). En effet, dans la mesure où les parties sont liées par leurs écritures, les pièces complémen­taires et non annexées au mémoire peuvent être écartées des débats. L'absence de remise au greffe des pièces exigées alors que les parties ont échangé et notifié leurs mémoires est une irrégularité de forme sanctionnée par la nullité si elle fait grief. Les parties peuvent modifier leurs écritures pour invoquer de nouveaux moyens en cours d'instance en notifiant de nouveaux mémoires. Cependant, les parties étant liées par leurs écritures, elles ne peuvent développer orale­ment que les moyens et conclusions de leurs mémoires.

- 2ème étape :

A l'expiration du délai d'un mois suivant la réception par son destinataire du mémoire préalable, le demandeur saisira le juge des loyers commerciaux par une assi­gnation délivrée par huissier.

Le juge des loyers commerciaux est saisi à date fixe à une date d'audience communiquée par le greffe du tribunal.

Il est possible de modifier le montant du prix demandé dans l'assignation, par rapport à celui indiqué dans le mémoire préalable, mais dans ce cas, le nouveau prix ne prendra effet qu'à dater du jour de la demande.

Le juge doit en principe rendre sa décision au vu des mémoires échangés et déposés par les parties, toujours en lettre recommandée avec accusé de réception.

- 3ème étape :

L'article R. 145-30 du Code de commerce précise que si le juge ne se consi­dère pas suffisamment informé ou éclairé, il ordonnera le plus souvent une mesure d'exper­tise confiée à un expert judiciaire qui aura la

mission de rechercher éventuellement si les conditions du déplafonnement sont réunies, mais surtout le prix du loyer renouvelé. Cette mesure d'expertise est souvent ordonnée par le juge, la plupart du temps aux frais avancés et partagés par les parties.

L'expert convoque alors toutes les parties pour une réunion contradictoire fixée sur les lieux loués pour les visiter.

Il procède ensuite à ses investigations, à savoir l'étude des clauses du bail, des prix pratiqués dans le voisinage, des facteurs locaux de commercialité et ce afin de fixer la valeur locative du bien loué.

Il rédige ensuite un pré-rapport soumis aux parties, qui ont alors la possibilité de lui adresser des dires, c'est-à-dire des observa­tions écrites sur ses conclusions, auxquelles l'expert est tenu de répondre.

Il dépose enfin son rapport définitif.

Remarque : L'article L. 145-57 du Code de commerce prévoit que pendant toute la durée de la procédure, et tant qu'aucun accord n'est formalisé entre les parties, le locataire devra continuer à payer le loyer au prix ancien. Il est cependant possible au bailleur de solli­citer du juge avant dire droit, c'est-à-dire avant sa décision définitive, la fixation d'un loyer provisionnel, à laquelle le juge fait le plus souvent droit. En revanche, le juge en apprécie souveraine­ment le montant. Ce loyer est alors exigible dès le prononcé de la décision qui le fixe et peut également être applicable rétroactivement à compter de la demande ou du point de départ du bail renouvelé. Il est exécutoire par provision.

Après le dépôt du rapport d'expertise, l'affaire est rappelée devant le juge des loyers commer­ciaux (article R. 145-31 du Code de commerce).

Chaque partie fait valoir ses moyens et préten­tions par la rédaction de nouveaux mémoires adressés à la partie adverse par courrier recommandé.

Chaque partie a la possibilité de modifier ses prétentions jusqu'à l'issue de la procédure, à charge de notifier un nouveau mémoire précisant les nouvelles prétentions.

Remarque : Une conciliation ou un accord peut intervenir à tout moment entre les parties, y compris au cours de l'expertise.

Le jugement rendu a autorité de la chose jugée, c'est-à-dire que le juge ne pourra plus connaître un contentieux portant sur le même objet, entre les mêmes parties et sur les mêmes demandes.

Le juge n'est pas lié par le contenu des mémoires et peut donc motiver sa décision par d'autres considérations.

Le jugement fixe le prix du loyer renouvelé rétroactivement à compter de la date de prise d'effet du nouveau bail.

En principe le juge n'est pas libre de fixer le prix du loyer :

- ni en-dessous de l'offre faite au locataire,

- ni au-dessus de la demande du bailleur.

La décision rendue par le juge peut aussi mettre à la charge du locataire des intérêts de retard depuis le jour de la demande en justice (assignation) et ce malgré la fixation d'un loyer provisionnel ou le paiement, pendant l'instance, de l'ancien loyer.

Le jugement rendu est susceptible d'appel dans le délai d'un mois à compter de sa notification. Le juge peut cependant ordonner l'exécution provisoire de la décision nonobstant appel et dans ces conditions, l'appel ne sera pas suspensif.

Il est possible pour le bailleur, qui avait accepté le principe du renouvellement, de se rétracter et opter finalement pour le paiement d'une indemnité d'éviction dans le délai d'un mois qui suit la signification de la décision définitive.

La prescription de l'action en fixation du loyer renouvelé

L'article L. 145-60 du Code de commerce stipule que « toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans».

Ainsi, au cas où aucune des parties ne saisit le juge dans le délai de deux ans, le bail se trouve renouvelé aux conditions antérieures et au prix de l'ancien bail.

Cette prescription biennale s'applique que l'action soit engagée par le bailleur ou le preneur.

Le point de départ varie selon que l'on délivre un congé ou une demande de renouvellement :

- dans l'hypothèse d'un congé avec offre de renouvellement, c'est la date de prise d'effet du nouveau bail, c'est-à-dire le jour pour lequel le congé est donné, soit à l'expiration du délai de préavis de 6 mois ;

- dans l'hypothèse d'une demande de renou­vellement délivrée par le locataire, c'est la date de l'acceptation du bailleur ou la date d'expiration du délai de 3 mois en cas de silence de sa part.

Remarque : La saisine préalable de la commission départementale de conciliation des baux commerciaux n'a pas d'effet inter­ruptif. Une assignation non précédée de l'envoi du mémoire n'interrompt pas la prescription. Cependant, la Cour de cassation a consi­déré dans un arrêt récent du 23 janvier 2013 que « la remise au greffe du mémoire aux fins de fixation de la date de l'audience ne saisit pas le Juge, et ne peut donc interrompre le délai de prescription ». On en déduit que finalement seule l'assignation en Justice réitérant le mémoire préalable peut interrompre cette prescription.